11/03/2009
Vidéo n'est plus synonyme de télévision !
Interview Martin Rogard, Directeur France de Dailymotion
Notre objectif : Fournir à l’utilisateur une demi-heure de vidéo intéressante par jour
Interview réalisée par David Bourgeois, Luc Bretones, Emmanuel Naudin et Eric Vandewalle, Réflexions et Stratégies
De gauche à droite : Emmanuel Naudin, Martin Rogard, Luc Bretones, Eric Vandewalle
Le parcours de Martin Rogard
Martin fait partie de la génération Y[1].Rien dans son apparence ne permet de l’identifier comme le patron. Il nous reçoit dans son bureau, dans lequel trône, comme abandonnée, une veste de costume prête à l’emploi en cas de rendez-vous impromptu.
Ce talentueux dirigeant, né en 1980, a démarré sa carrière à 19 ans comme directeur créatif de la société Vibes[2] et son célèbre jeu persistant massivement multi-joueurs Mankind. Il y fait ses armes de manager. En 2003, il rejoint le Ministère de la Culture, devenant le responsable du portail du pôle Culture et Education.
Au cabinet du Ministre Renaud Donnedieu de Vabres, il travaille sur les sujets concernant la création numérique, met en place les chantiers numériques, portail Internet d’accès aux ressources patrimoniales de la base de données du Ministère de la Culture et des musées. Il participe également à la mise en place de la loi DADVSI de 2006 sur les droits d’auteur, libérant les fameux DRM[3] et permettant l’interopérabilité.
Il rejoint Dailymotion en juillet 2007, d’abord comme Directeur des Contenus. Il est nommé Directeur France le 1er janvier 2008.
Quelle est la stratégie actuelle de Dailymotion ?
Nous souhaitons ajouter de la valeur aux contenus que l’on diffuse. Autrement dit, nous passons d’un service qui permet de transformer un fichier vidéo en flash, à un media qui offre à ses utilisateurs et partenaires des outils et moyens humains de mise en valeur. Vous remarquerez que Youtube et Dailymotion ont été créés à 15 jours d’intervalle, suite à la sortie de la dernière technologie de Flash. Par ailleurs, Youtube appartient à Google. Notre réponse ne peut donc pas être seulement technique. La simple recherche parmi des millions de contenus n’est pas suffisante.
Nous cherchons des partenaires pour nous alimenter en vidéo et co-construire des mises en page thématiques (musique, sport, actus…). Dailymotion reste ouvert aux contributions, mais aussi aux notes, aux commentaires. Nous mettons en avant les meilleures vidéos en page d’accueil de chaque thème. Nous fidélisons une forte communauté de partenaires, les motion makers, en leur fournissant des outils. Ils mettent leurs contenus en ligne et gardent la main en permanence dessus (i.e ils peuvent les enlever à tout moment). Ce qui compte, c’est l’engagement des utilisateurs.
Cette stratégie porte ses fruits puisque près d’un blog français sur deux dispose du player[4] ! Si on accumule les visiteurs du site www.dailymotion.com et les vidéos intégrées aux blogs via notre player, nous totalisons plus de 900 millions de vidéos vues chaque mois.
Quels types de contenus diffusez-vous sur vos pages thématiques ?
Nous suivons la théorie de destruction créatrice de Schumpeter[5]. Nous agrégeons une partie des contenus non diffusés à la télévision. Savez-vous que 97% de la production audio-visuelle professionnelle n’est pas retransmise ? On peut résumer la télévision à une centaine de chaines qui émettent 24H/24. Cette capacité est très insuffisante pour diffuser l’ensemble des courts métrages, les clips, les productions d’entreprise, de colloques, etc…
Dans ce contexte, nous nous attachons à préserver la légitimité du partenaire En diffusant leurs contenus, les chaînes de télé des fédérations sportives s’adressent directement à leur réseau de licenciés. Nous avons conclu des partenariats avec la Fédération Française de Voile, ou encore la Fédération Française de Basketball. Ces fédérations diffusent les vidéos de toutes les ligues à l’aide de notre technologie de production à bas coût. Nous répondons à une quête de sens : aller directement du producteur de contenu au consommateur, avec si possible une logique d’espaces verticaux thématiques pour améliorer la performance publicitaire.
Quand des groupes media non vidéos comme France Inter, le groupe Prisma Presse ou encore Télé Loisir, passent sur Dailymotion, nous élargissons notre audience. Une application directe des principes de la loi de Metcalfe[6]. Puis, nous nous efforçons d’attirer les internautes vers nos autres chaînes thématiques.
Quel est le modèle économique de Dailymotion ?
Notre modèle est 100% gratuit pour l’utilisateur. Nous finançons nos besoins de développement grâce à la pub, placée à côté (pavés classiques), à l’intérieur (pre-roll[7], instream[8]) des vidéos que nous diffusons, ou via l’insertion de logos sur lesquels les internautes peuvent être invités à cliquer pour visiter le site web associé ou entrer leurs coordonnées. Nous valorisons ainsi l’engagement de nos partenaires auprès des annonceurs.
Nous avons signé 1098 contrats de partenariats en 2008, sur lesquels nous partageons les revenus de publicité sur la base d’un calcul factuel et précis.
Notre modèle est pérenne. En effet, 90% de la croissance du marché de la pub des 5 prochaines années aura lieu sur Internet. Et au sein de ce marché, la vidéo est de loin le secteur qui connaît la croissance la plus forte. Toutefois, les attentes de nos annonceurs évoluent. Ils n’achètent plus des utilisateurs uniques ou un nombre de pages vues, mais des engagements. En 2009, nous valoriserons le temps d’exposition des internautes, à la minute près, grâce à la technologie d’Alenty qui chronomètre la durée d’affichage de la pub sur chaque page vue. Ainsi, les bandeaux de bas de page ne sont comptabilisés que lorsque l’internaute fait défiler sa page jusqu’à l’affichage complet du bandeau.
Nous recevons environ 15 000 vidéos par jour, mais plus que la quantité, ce que nous visons est de fournir 30 minutes de vidéos intéressantes par jour à nos utilisateurs. Cet élément mesuré grâce à des outils comme ceux de Nielsen représente un message très porteur pour les annonceurs.
Quels outils avez-vous mis en place pour contrôler les vidéos que vous diffusez ?
Dailymotion opère sous le régime juridique, maintenant reconnu par tous, de la Loi de Confiance dans l’Economie Numérique (LCEN). Cette loi précise notre responsabilité d’hébergeur. Les internautes nous signalent grâce au bouton figurant sous chaque vidéo celles avec un contenu qu’ils considèrent comme illicite ou contraire à nos conditions générales d’utilisation (pornographie, incitation à la haine raciale ou violence…). Ces signalements sont traités par une équipe dédiée 24h/24, 7 jours/7 et les contenus manifestement illicites sont retirés de notre plateforme, décourageant ainsi leurs auteurs de renouveler l’expérience.
La question des droits d’auteurs est plus délicate. Les internautes ne déclarent pas les contenus soumis aux droits d’auteurs car le partage fait partie de leur culture et ne les choque pas. Cependant nous avons décidé de mettre en place de façon volontaire des technologies efficaces de reconnaissance de contenus. Les équipes Dailymotion réalisent ainsi un fingerprint[9] des contenus mis en ligne par les internautes et les motion makers, puis les comparent aux empreintes déposées par les ayant-droits des contenus protégés par des droits d’auteur dans la base « Signature » de l’INA[10] ou dans celle de la société Audible Magic[11]. Si la comparaison est positive, Dailymotion empêche la mise en ligne de la vidéo correspondante.
Dailymotion établit également des contrats de diffusion directement avec les ayant-droits, les éditeurs ou les sociétés de production propriétaires des contenus, ou encore la SACEM[12], la SACD[13] ou la SCAM[14].
Grâce à cette organisation, Dailymotion connaît de moins en moins de procès. Par ailleurs, tous les procès ont confirmé la qualité d’hébergeur du site Dailymotion, un statut particulier qui n’impose pas de vérifier la mise en ligne a priori des contenus mais demande aux hébergeurs de retirer promptement toute œuvre protégée signalée.
Dailymotion est un acteur de poids du web 2.0. Mais utilisez-vous les technologies propres au réseau mondial interactif au sein de Dailymotion ?
Nous pratiquons à la fois le Top-Down et le Bottom-Up. Nous animons la communauté des motion makers, qui participent à la création de contenus. Nous avons également déployé un wiki en interne pour établir les spécifications des nouvelles fonctionnalités, et donner accès à l’information à tous nos collaborateurs en même temps.
Dans le monde 2.0, l’expertise est recentrée sur l’individu, qui s’inscrit dans un graphe social et véhicule l’information en l’enrichissant. Le Web 2.0 apporte une dimension supplémentaire aux contenus que nous publions sur la toile : la qualification par des acteurs de notre réseau social. Nous parlons alors de recommandation et de réputation. Lorsque vous diffusez une vidéo de façon anonyme sur Dailymotion, vous avez peu de chance d’attirer du monde. Mais lorsque vous publiez une vidéo dans Facebook, vous la recommandez à vos amis. On ajoute de la valeur en distribuant un contenu avec un avis à certaines branches de son réseau social.
Quelles sont les tendances lourdes du Web 2.0 ?
J’en vois 2. La première concerne l’UGC [15]. Nous allons vers un dialogue entre les contenus professionnels et amateurs, vers l’agrégation et la syndication de contenus.
La seconde tendance concerne le DRM. Tous les appareils fonctionneront bientôt en IP [16]. Les internautes consommeront l’Internet à la demande, via leur téléphone mobile ou via la télévision connectée en WiFi au réseau mondial. Nous devrions assister à l’explosion du streaming. Nokia, qui anticipe largement ce mouvement, est d’ailleurs la société qui prend le plus d’accréditations au MIDEM[17] ! Le DRM, contrôle du passage d’un fichier sur un lecteur, sera bientôt devenu totalement obsolète. En effet, pourquoi posséder un fichier quand je peux l’écouter ou le voir quand je veux et gratuitement en streaming sur le Net ?
De gauche à droite : Emmanuel Naudin, Martin Rogard, Luc Bretones, David Bourgeois
[1] Les anglo-saxons l’appellent Youth Generation, c’est-à-dire les jeunes actifs de moins de 30 ans
[2] Le studio Vibes a été racheté en 2002 par O2OE (Hong Kong), qui assure encore aujourd'hui l'exploitation du jeu
[3] DRM = Digital Rights Management, Gestion des Droits d’Auteur en français
[4] Player = lecteur intégré aux pages du blog ou du site Web
[5] Economiste austro-hongrois de la fin du XIXème siècle qui liait la disparition de sociétés anciennes avec l’arrivée de nouveaux acteurs innovants et plus performants
[6] La loi dit que plus il y a d'utilisateurs dans un réseau, plus ce réseau aura de la valeur
[7] Pre-roll = message de 10 à 20 secondes avant la vidéo
[8] Stream = flux vidéo
[9] Fingerprint = empreinte électronique unique, sous forme de fichier de petite taille
[10] INA = Institut National de l’Audiovisuel
[11] La société Audible Magic propose des outils de marquage des bandes son
[12] SACEM = Société des Auteurs, Compositeurs et Editeurs de Musique
[13] SACD = Société des Auteurs et Compositeurs Dramatiques
[14] SCAM = Société Civile des Auteurs Multimedia
[15] UGC = User Generated Content ou le contenu généré par les utilisateurs d’un site
[16] IP = Internet Protocol
[17] MIDEM = Marché International du Disque et de l’Edition Musicale
21:05 Publié dans II- La fin de l’adolescence du web et de la petite | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : reflexion, strategie, thinktank, social, conversation, technologie
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