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04/02/2009

Le nouveau pouvoir des conversations

Par Luc Bretones et Stéphane Dieutre

 

Nous vivons une époque fascinante. Avec Internet, révolution technologique et sociétale se croisent et se répondent. Des lames de fond sont en marche.

Et, pour la première fois dans l’histoire, l’humanité laisse une empreinte à la fois sensible et factuelle de sa marche vers l’avenir sur un media participatif, et non hiérarchisé. Le futur s’écrit à livre ouvert. D’où la nécessité de tenter d’interpréter micro et macro tendances pour décrypter la matrice de ce monde qui s’invente, sous nos yeux, en temps réel.

 

Alors que notre société connaît des ruptures sans précédent, son miroir technologique géant agit comme un bras de levier phénoménal. Et l’émergence du nouveau pouvoir des conversations est sans doute l’un des constats les plus importants à faire.

 

Chaque « connecté » peut  aujourd’hui éprouver le vertige de  pouvoir dire son mot sur tout comme de connaitre le point de vue de chacun. Sur Internet les contributeurs sont à égalité : un blog personnel peut égaler en influence un puissant site institutionnel d’entreprise.

Renouant avec les idéaux démocratiques, ce nouveau paradigme rassemble aussi bien  individualistes libertaires en but avec l’autorité, que promoteurs de nouvelles solidarités ou encore libéraux soucieux de transparence des institutions et des marchés, unis dans le projet  d’une révolution internet au service des individus, des initiatives collectives et des libertés.

 

Or dans le même temps, de nouvelles dynamiques sociologiques s’affirment qui s’emparent de cette nouvelle possibilité de converser : montée en puissance des communautés, défiance à l’égard des médias, des pouvoirs publics, des entreprises et des marques, critique des excès du capitalisme financier, défense du pouvoir d’achat et développement durable.

 

Les nouvelles pratiques citoyennes des internautes trouvent écho dans la vie politique. L’initiative populaire – utilisée en Suisse et dans certains Etats des Etats-Unis et permettant à un groupe de citoyens d’obtenir par pétition l’organisation d’un vote au parlement ou un référendum sur un projet de loi, une révision constitutionnelle ou une demande d’abrogation de loi – progresse et est inscrite dans l’article 11 de la Constitution Française depuis le 23 juillet 2008. Un projet européen prévoyait qu’une pétition signée par un million de citoyens européens pourrait être présentée devant la commission européenne.

 

Nous assistons simultanément au développement rapide d’un troc planétaire qui fait une bonne place à la conversation : les échanges C2C (customer to customer), ventes directes entre particuliers, à prix fixe ou aux enchères.

 

Comme l’a mis en évidence le cabinet Think-Out, nous sommes entrés dans le troisième âge conversationnel, celui des conversations numériques.

Pendant des millénaires l’humanité a fondé son développement sur les conversations, les échanges directs entre êtres humains au sein de petits groupes. Les conversations étaient à diffusion lente. Ouvrant une nouvelle ère, le « broadcast » des mass media a monopolisé la parole et s’est imposé par sa verticalité. Le dictat du journal de 20h et de la publicité en ont été les purs produits. L’émergence de nouveaux leaders d’opinion (entraînant des communautés ou mobilisant sur des causes un réseau mondial plat et maillé), de médias participatifs et de gigantesques espaces de dialogues communautaires, est la caractéristique du nouvel âge conversationnel.

 

En 1999 déjà, Rick Levine, Christopher Locke, Doc Searls et David Weinberger écrivaient dans “The Cluetrain Manifesto” : « les marchés sont désormais des réseaux d'individus connectés les uns aux autres, rendus ainsi plus intelligents, et profondément unis dans un dialogue.

Les marchés sont des conversations ! »

Cette vision nous éblouissait à l’époque ; elle est devenue réalité : bientôt 200 millions de blogs dont une estimation à plus de 70 millions pour la Chine uniquement, des forums et wikis sur tous les sujets, 4 milliards d’articles sur l’encyclopédie participative wikipedia, un partage fluide des photos, vidéos (1 milliard de vidéos vues par jour sur YouTube), et autres supports multimedia, avec fonctions de géolocalisation et commentaires, des réseaux sociaux professionnels, d’amis (50 milliards de pages vues par mois sur MySpace), généralistes, verticaux, des chats, twitts et autres messageries instantanées permettant une connexion permanente à ses réseaux, des univers virtuels et de jeux en forte progression.

 

On le voit, les outils d’expression individuelle et de mobilisation collective sont là. Le contexte socioculturel est favorable. Les nouvelles générations sont « digital natives » et adeptes de la multi-consommation médiatique (multi-tasking). La presse quotidienne nationale payante s’effondre, la télé ne fait plus son « show collectif live » que sur le sport (coupe du monde de rugby) et un débat « Sarkozy – Royal ». Les chiffres Audimat du 20H00 s’effritent.

A contrario, un blogueur seul peut aujourd’hui interpeller sérieusement une marque, une personnalité, un media. Jeff Jarvis, ancien critique TV et blogueur reconnu, s’est exprimé en lettre ouverte pendant plusieurs mois sur le service consommateur, déplorable selon lui, de la firme Dell avant d’obtenir une réponse et un dialogue direct avec le CEO, Mickaël Dell. L’affaire a terni l’image de marque de la société. Dans un autre genre, une vidéo postée sur Internet montrant comment ouvrir un antivol Kensington en quelques secondes avec un simple rouleau de papier toilette, rappelle cruellement que la marque ne vit que par ses consommateurs.

 

Chacun peut faire cette expérience au quotidien : 30% des 100 premières réponses obtenues en cherchant une marque sur Google sont des messages émis par des consommateurs. Les « consommacteurs » ont pris les clefs, et ils ne sont pas prêts de les rendre !

 

Les marques ne peuvent donc plus ignorer les conversations en cours sous peine de réactions trop lentes ou trop « corporate ». Les mouvements communautaires sont rapides, le bouche à oreille marche à fond, et l’agilité est de mise. Ce n’est plus seulement un sujet de communication mais aussi de marketing. Les entreprises qui écoutent, ou donnent la parole, gagnent en temps, en acceptation et en efficacité.

Plusieurs approches peuvent être utilisées pour écouter, participer ou organiser ces conversations et aller au-delà des services web2.0 – jeux, vidéos, cours en ligne, conseils vidéo – déjà proposés par exemples par des marques comme Pampers, Nestlé, Blédina ou Nivea sur la cible des jeunes mères, ou Honda qui a revu la conception de ses mini-vans en y associant des mères de famille.

Ainsi, les premières plateformes de conversations d’entreprises exploitent le potentiel de bonnes idées et de rebonds des écosystèmes business. Que ce soit en mode intranet dans un Ministère, dans le cadre de la préparation d’un forum économique pour le premier assureur espagnol Vida Caixa[1] ou encore dans une démarche de co-innovation et feedback avec ses clients à la SNCF[2], l’instinct de conversation est mis à contribution d’une démarche de progrès collective. Selon Olivier Ricard, concepteur du service TalkSpirit, « les conversations offrent aux entreprises de nouvelles opportunités puissantes d’associer leurs clients à leurs réflexions pour mieux développer leur business ».

Mais le modèle de fédération des commentaires spécifiques à un produit, un service ou une marque sur un terrain neutre fonctionne également très bien. Tripadvisor est un exemple vertical réussi dans le secteur des prestations de voyage. Getsatisfaction, généraliste, propose même en marque blanche un service web de self care par la conversation pouvant si besoin intégrer les échanges trouvés sur Twitter.

 

Bien sûr écouter ne suffit pas. La création « disruptive » sera toujours nécessaire. Ce n’est pas Steve Jobs qui nous contredira. Et dans ce cas, le buzz de l’innovation vaut toutes les campagnes marketing. Mais comme nous le montre le site Eyeka, les internautes savent aussi produire des idées pour les marques.

 

Finalement, rien n’arrête les conversations. Elles se fluidifient, s’agrègent, font progresser la pertinence, l’intelligence et réchauffent un media technologique froid. La précision de ces interactions en chaine, leur force, sont étudiées de plus en plus finement. Le système « who’s hot » – widget d’Alenty.com – permet par exemple aux blogueurs de gagner en notoriété, de découvrir l'audience de leur blog et de faire connaissance avec leurs visiteurs. Chaque contenu est mesuré en audience au millimètre – une bannière de pub vue à moitié quelques secondes ne sera pas comptée de la même manière que si elle est en plein écran – et l’on peut imaginer un web qui fasse ressortir avec précision – police de texte proportionnelle à la notoriété par exemple – les éléments les plus consultés. D’autres systèmes tels que Digg (vote sur la qualité des contenus) ou del.icio.us (social bookmarking) contribuent à qualifier l’information pour que le meilleur émerge. C’est dire l’extraordinaire capacité d’intelligence collective qu’offre déjà ces réseaux de conversation

La mesure du retour sur investissements est d’autant plus importante que ces derniers explosent. La marque Coca-Cola voit par exemple son budget media multiplié par 2,5 sur Internet en un an à 25%, avec notamment Happiness Factory 2, sa fameuse campagne événementielle 2007.

 

Mais on ne contrôle pas une conversation, on y participe ! Et l’on peut se dire que si un réseau humain se renforce au travers d’une marque, elle se différenciera de façon décisive.

 

Ce type d’enjeu est nouveau, difficile à appréhender et demande assurément une stratégie et des acteurs spécifiques au sein de l’entreprise. Quels sont les lieux de conversation ? Faut-il en créer d’autres, des spécifiques ? Où sont les benchmarks et que font-ils ? Enfin, quelles sont les postures à adopter ? Et pour quel résultat ?

Autant de questions qui finiront par faire passer les marques de la grande consommation à la grande conversation !

 

 

Luc Bretones – VP Réflexions & Stratégies, représentant Institut G9+

Stéphane Dieutre –Directeur-Associé de Think-Out  (études marketing et consulting)

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